Maladies chroniques
Endométriose: un cas pour la recherche, pas pour l'État

En Suisse, une femme sur dix en âge de procréer souffre d’endométriose, une maladie de la muqueuse utérine. Il faut attendre en moyenne dix ans pour que le bon diagnostic soit posé. La politique s'est récemment emparée du sujet, avec le dépôt d'une motion demandant le renforcement de la recherche dans ce domaine selon une approche «bottom-up» plutôt que «top-down». Précisément l'objectif que s'est fixé la start-up FimmCyte.

Les douleurs liées aux règles constituent un problème fréquent durant le cycle menstruel. Mais si du tissu semblable à la muqueuse utérine s’implante en dehors de l’utérus, notamment au niveau de la cavité abdominale, des ovaires, du péritoine, de la vessie ou de l’intestin, cela peut entraîner des douleurs dans le bas-ventre à la limite du supportable. Ces douleurs peuvent occasionner une incapacité totale ou partielle pendant plusieurs jours chez les femmes concernées, et nécessiter la prise d'antidouleurs puissants. En moyenne, une dizaine d'années s'écoule avant que le diagnostic d'endométriose ne soit posé. Détecter précocement cette maladie est pourtant essentiel car elle peut s'amplifier au fil des cycles.

L'Australie et la France aux avant-postes de la recherche

L'Australie a lancé en 2018 un programme national d'action contre l'endométriose. En 2022, une avancée notable a été réalisée: des chercheurs sont parvenus à cultiver en laboratoire des tissus de tous les types d’endométriose connus, ce qui permet d'observer la réponse à différents traitements et d'en analyser l'efficacité. La France s'est elle aussi dotée d'une stratégie nationale de lutte contre l'endométriose. Un engagement du président Emmanuel Macron, pour qui cette maladie chronique n'est pas un problème de femmes, mais un problème de société. En effet, près de la moitié des femmes dont le désir de grossesse n'a pas abouti sont touchées par l'endométriose. En Suisse, la motion visant à renforcer la recherche dans le domaine de l'endométriose a été approuvée par le Conseil national mais rejetée par le Conseil des États au motif qu'une approche «bottom up» doit être privilégiée pour les programmes nationaux de recherche et que la fixation de priorités en la matière n'est pas du ressort politique.

Exploration d'une nouvelle voie thérapeutique

Cette approche est aussi celle soutenue par SWICA, partenaire du Health Innovation Hub créé en 2019 par l'Hôpital universitaire de Zurich (USZ), un incubateur de start-ups actives dans le domaine de la santé. Des résultats de recherche prometteurs ont ainsi permis à la start-up FimmCyte de voir le jour: depuis deux ans, elle travaille sur le développement d'un nouveau traitement qui mise sur l'exploitation du propre système immunitaire des patientes pour une destruction ciblée du tissu endométriosique. Le CEO de FimmCyte, le docteur Mohaned Shilaih, est convaincu de l'efficacité de cette approche chez les femmes qui ne répondent pas aux traitements conventionnels.

SWICA: projet pilote sur l’endométriose

SWICA et le service de télémédecine santé24 entendent améliorer l'aide apportée aux femmes souffrant d'endométriose entre les crises d'endométriose et pendant ces dernières. Dans le cadre d’un projet pilote de quatre mois, 50 clientes SWICA auront la possibilité de tester une offre de services personnalisée composée de différents éléments comme des conseils par téléphone, des offres en ligne et des services à domicile.

Entretien avec le docteur Mohaned Shilaih, CEO de FimmCyte

Docteur Shilaih, vous avez développé une méthode thérapeutique visant non seulement à venir en aide à plus de 176 millions de femmes atteintes d'endométriose dans le monde, mais aussi à soulager le système de santé. Pouvez-vous nous en dire plus?

Nous travaillons sur un traitement novateur ciblé qui présente à mon sens un potentiel nouveau, notamment pour les cas où les méthodes thérapeutiques standard ont échoué. L'endométriose occasionne par patiente et par an autant de coûts que des maladies mieux étudiées telles que les maladies rhumatoïdes et, selon certaines estimations, le diabète de type 2. Elle affecte considérablement leur qualité de vie physique, psychique et économique. Chaque amélioration est essentielle pour réduire l'impact de la maladie et permettre aux personnes concernées de prendre activement part à la société.

La littérature spécialisée sur la santé féminine est assez rare.

Pourquoi cet engagement en faveur de la recherche sur une maladie jusqu'ici peu considérée?

Je m'engage en faveur de la santé des femmes depuis plusieurs années. Je suis très surpris de voir que ce domaine a fait l’objet de trop peu de recherches. La littérature spécialisée sur la santé féminine est assez rare, alors que l'on recense de nombreux travaux et réponses de groupes de recherche et d'entreprises sur les maladies cardiovasculaires ou le diabète par exemple. L'endométriose est un sujet sur lequel j'ai beaucoup échangé avec la professeure Brigitte Leeners. Lorsque mon associée, la docteure Valentina Vongrad, m'a présenté son principe thérapeutique novateur, nous avons rapidement décidé de solliciter un financement auprès d'Innosuisse. Notre approche a été jugée risquée, comme tout développement de médicament, mais aussi très prometteuse.

Pourquoi ce traitement spécifique serait-il efficace dans les cas où des résistances à d'autres thérapeutiques ont été observées?

Les traitements conventionnels de l'endométriose reposent sur l'utilisation d'hormones qui freinent le développement de la maladie sans en modifier l'évolution. Quant aux interventions chirurgicales, elles sont certes très efficaces, mais très invasives et très coûteuses, et présentent bien sûr un certain nombre de risques. Notre traitement s'apparente à une opération où l'on aide le système immunitaire à identifier et à détruire les tissus malades. Nous espérons qu'il montrera en phase clinique la même efficacité que lors des tests sur les animaux, car cela pourrait révolutionner la prise en charge de la maladie.

Quand pensez-vous obtenir une autorisation de mise sur le marché?

La procédure de développement de médicaments est longue et onéreuse. Selon notre meilleur scénario, avec homologation accélérée par les autorité sanitaires et fort soutien financier de nos investisseurs, nous pourrions espérer une mise sur le marché dans 8 ans.

Quels sont les avantages de FimmCyte par rapport à ses concurrents? Qu'est-ce qui vous distingue, vous et la docteure Valentina Vongrad?

Notre souci premier, c'est de répondre aux besoins et aux souhaits des patientes.Dans le cadre de la phase de développement, nous avons pris en considération différents critères. Il nous était en particulier important de ne pas porter atteinte à la fertilité, de ne pas recourir aux hormones et d'éviter les traitements chroniques, pour n'en citer que quelques-uns. Notre traitement se distingue fondamentalement de tout ce qui a été développé jusqu'ici, car il cible en premier lieu le tissu endométriosique et a un potentiel de modification de la maladie. La docteure Vongrad, la professeure Leeners et moi-même, ainsi que toute l'équipe FimmCyte poursuivons tous le même but: améliorer le traitement standard pour les femmes souffrant d'endométriose et, par-là même leur qualité de vie.

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